Nicolas Vanier est né le 5 mai 1962 au Sénégal. Connu pour ses films "Loup" et "Le Dernier Trappeur", il est surtout un explorateur amoureux des grands espaces.

Interview de Nicolas Vanier par AlloCiné:

A l’origine, c’est Gaumont, le producteur, qui vous a sollicité pour réaliser ce film. Pourquoi avoir accepté le projet ?

   Qu’est-ce qu’on pouvait imaginer de mieux pour un amoureux du cinéma, des chiens, de la montagne, de la neige, qu’un film pareil. Belle et Sébastien, c’est un véritable cadeau que la vie m’a fait. Un double cadeau même. Le premier lorsqu’enfant, je suivais comme des millions de téléspectateurs, la série. J’en ai été une victime. Outre mon amour pour l’univers de la montagne, j’étais déjà épris de liberté, cette liberté qui émanait de ce petit garçon et de ce chien lâché dans ces paysages blancs. Et aujourd’hui, le second avec ce film.

 

Vous vous êtes retrouvé face à l’un de vos idoles en la personne de Mehdi, qui incarnait le petit Sébastien dans la série originelle et qui, ici, incarne un forestier. En tant que fan, qu’avez-vous ressenti au moment de le diriger ? Ne fut-ce pas déstabilisant ?

   Avant tout, je souhaitais que Mehdi fasse partie de l’aventure. Je ne suis pas propriétaire de Belle et Sébastien. C’est l’œuvre de sa maman, sa création et depuis le décès de cette dernière, Mehdi en est l’héritier. Aussi pour ce film, j’avais besoin de son accréditation, en quelque sorte, besoin de lui parler, de lui expliquer ce que j’ambitionnais de faire, le rassurer sur le fait que je voulais que l’atmosphère, le parfum du film reste le même. Je lui ai demandé de lire le scénario, ce après quoi, il a accepté le rôle d’André. Petit clin d’œil, c’est lui qui va se faire mordre par le chien et c’est auprès de lui que Sébastien va se renseigner sur cette « bête ».

 

Était-ce essentiel d’écrire une scène commune à Mehdi et Félix Bossuet, l’ancien face au nouveau Sébastien ?

   Je trouvais ça très joli, très symbolique. La séquence fut très émouvante pour Mehdi.

 

Vous dites avoir voulu être le plus fidèle possible à l’œuvre d’origine. Pourtant, vous avez situé l’histoire au cœur de la Seconde Guerre mondiale, soit une dizaine d’années avant le cadre d’origine dans les années 1960. Pourquoi ce choix ?

   D’abord, comme Cécile Aubry, j’aurais pu choisir de placer le récit à l’époque de l’écriture, en 1960 pour elle, en 2010 pour nous, et j’aurais tourné dans une station de ski avec des touristes un peu partout avec des combinaisons fluorescentes qui agressent mon regard et auraient rendu très malheureuses mes caméras. Ça ne me convenait pas. J’avais envie de ces couleurs, de ces textures, de ces parfums, de ces sons des années 1940 qui se marient avec ce village de pierre et de l’eau. De plus, on retrouve cette atmosphère qui rappelle celle de Belle et Sébastien de l’époque. Il y a de la nostalgie dans ce choix esthétique. L’autre raison est liée à la dramaturgie du film. Cela nous a permis de renouer avec cette question de passage. A l’origine, il s’agissait d’une histoire de contrebandier et ici, c’est une affaire de clandestins cherchant à fuir la France occupée. J’ai ainsi pu rendre un hommage à ces très grands résistants qu’étaient les gens de la montagne et dont on ne parle pas ou peu.

 

Venons-en au choix de Félix Bossuet. Comment s’est passé son casting ?

   Ce qui a contribué au succès phénoménal de la série, c’est le Sébastien que Mehdi a créé avec ce regard, cette force qui émanait de lui. Ce n’était donc pas évident de trouver un remplaçant qui conjuguerait cette même présence. Au total, 2 400 enfants ont été auditionnés. Personnellement, j’ai étudié 200 essais avant de retenir une quinzaine de petits garçons que j’ai emmenés avec moi sur les hauts plateaux du Vercors afin de les mettre en contact avec mes chiens de traineau et de voir lesquels possédaient ce feeling avec l’animal. Félix s’est, très rapidement, distingué des autres. Il avait à la fois ce regard fort et fragile. On sentait qu’il avait une vie intérieure très, très intense. Ensuite, tous les enfants que l’on fait jouer à la télévision, au cinéma, au théâtre, ont cette tendance à surjouer, or Félix a tout de suite été dans la subtilité d’un jeu très juste, très naturel. En plus, il a su vivre cette histoire réelle d’amitié avec le chien. C’était extraordinaire.

 

Quelle relation avez-vous nouée et entretenue avec Félix ?

   Très affectueuse. J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé ce petit garçon et je pense que c’était réciproque. Ce lien était essentiel pour la bonne marche du film car cela me permettait de lui dire beaucoup de choses et inversement. Cette compréhension nous a bien aidés.

 

La montagne tient un rôle majeur dans votre long-métrage. N’a-t-elle pas valeur de personnage à part entière ?

   Tout à fait. La montagne est un personnage central. C’est la toile de fond sur laquelle s’est écrit le film. Je voulais impérativement que nous tournions sur une année entière de façon à voir le vert de l’été, le jaune de l’automne et le blanc de l’hiver, pour montrer toute la féérie des montagnes, ses habitants : les chamois, les bouquetins… C’est un univers que l’on connaît assez mal, finalement et que l’on ne voit que par le prisme des stations de ski en hiver, or la montagne c’est toute autre chose. Je l’aime profondément, j’aime ses paysages et je voulais que ce film en soit aussi un hymne.

 

La montagne est souvent capricieuse, n’a-t-il pas été trop difficile d’y tourner ?

   On a eu beaucoup de chance car la météo a été excessivement mauvaise et capricieuse. Or comme chacun le sait, il n’y a rien de plus moche qu’un grand ciel bleu (sourire). Cela nous a posé des difficultés incommensurables mais ça nous a apporté des lumières, dans le film, absolument extraordinaires. La montagne, comme la météo, il ne fallait pas la subir. Il fallait faire preuve de patience, d’humilité car c’est elle qui décide. Si vous l’appréhendez ainsi, elle vous donne beaucoup et on a connu des instants magiques durant le tournage.

 

Et avez-vous rencontrez des difficultés majeures ?

   Je ne sais pas. Une grosse tempête de neige n’est pas un drame car je sais que la montagne est comme ça, de même qu’un chien turbulent qui se met à semer le trouble ou qu’un enfant qui manque de concentration et retarde le tournage. Ce film aurait pu être un cauchemar pour un réalisateur qui n’aime pas les enfants, les chiens et la montagne mais pas pour moi. Aucun moment ne m’a marqué négativement. Nous n’avons fait que nous adapter quand on a essuyé des tempêtes de neige, quand il a fait très froid, qu’on a eu de la brume.

 

Est-ce difficile de faire accepter à des comédiens de jouer dans de telles conditions climatiques ?

   Il ne faut surtout pas les convaincre ! Surtout pas ! Il faut qu’ils expriment, eux-mêmes, une profonde envie de le faire parce sinon on ne peut pas obtenir d’eux ce qu’on va leur demander par -20°, -30°, -40° dans les montagnes. Il ne faut donc pas les convaincre. C’est plutôt à eux de me convaincre qu’ils veulent faire partie de mon aventure.

Interview de Nicolas Vanier par Europe1:

Comment avez-vous choisi votre animal pour le film ?

   Belle a été sélectionnée parmi une centaine de chiens. Il s’agit d’un patou, un chien des montagnes pas vraiment réputé pour son obéissance. Les bergers utilisent cette race de chien pour protéger les troupeaux des loups. Pour Belle, nous avons effectué un véritable casting, en fonction de plusieurs critères : la taille de l’animal, sa grosseur, son âge surtout, puisqu’il nous fallait impérativement un chien qui avait plus d’un an, et moins de 3 ans. Un chien de moins d’un an est comme un adolescent, turbulent. Au-delà de trois ans, il est au contraire comme un adulte, il a de mauvaises habitudes, on a du mal à lui apprendre des choses, voire même, on ne lui apprend plus rien. A partir de nos critères donc, le dresseur Andrew Simpson (qui avait déjà dressé les animaux pour Le dernier trappeur et Loup, mes deux derniers films) a rencontré des centaines de propriétaires et leurs chiens. Il en a alors sélectionné dix puis les a fait travailler pour voir la capacité des chiens à apprendre des choses faciles. Finalement, son choix s’est porté sur trois animaux : une chienne prénommée Garfield pour le rôle principal, et ses deux doublures. Elles avaient chacune des caractères spécifiques pour jouer dans des scènes plus ou moins dynamiques ou calmes. En revanche, quand on voit un gros plan du chien, c’est toujours Garfield.

 

Quand utilisiez-vous les doublures ?

   C’est Garfield, la chienne vedette, qui a effectué le rôle principal d’un bout à l’autre du film. Les doublures nous servaient surtout pour les répétitions. On avait beaucoup besoin d’elles pour caler les caméras, ou pour caler les mouvements. On s’en servait aussi pour les répétitions, afin, au maximum, de préserver "l’actrice principale ". Même chose quand on filmait un petit point blanc à l’horizon, ce sont les doublures qui jouaient encore ce rôle.

 

Quant à Félix (7 ans et demi), vous l’avez recruté parmi 2.400 candidatures. Comment avez-vous travaillé avec lui et le chien ?

   On est parti de 2.400 enfants en effet, pour arriver à une sélection de douze petits garçons. Je les ai alors emmenés dans le Vercors, où j’ai des chiens de traîneau, pour les mettre en contact et voir lesquels d’entre eux avaient "le feeling." Je ne leur faisais pas faire grand-chose. Seulement passer du temps avec les chiens, les caresser. Très vite, les chiens vont vers des enfants, et très vite, certains ne veulent pas aller vers d’autres. L’enfant devait avoir le feeling. Cette relation ne peut pas être trichée. On peut demander à deux acteurs de faire semblant de s’aimer pour un film. Entre un enfant et un chien, c’est différent. Et en l’occurrence avec un chien, c’est parfaitement impossible. Il fallait que cette relation soit vraie.

 

Combien de mois cela demande-t-il pour que le garçon et l’animal s’adoptent ?

   Ça a pris un petit mois, pendant lequel on a mis l’enfant et le chien ensemble petit à petit. Tout ce travail était supervisé par Andrew Simpson, le dresseur. Andrew a interdit à quiconque avant et pendant le tournage d’avoir quelque relation que ce soir avec le chien, de le toucher, ou même de croiser son regard ! C’était la seule manière pour que le chien aille chercher toute sa tendresse auprès de l’enfant.

 

Concrètement, comment a fait l’équipe du film pour construire et montrer cette relation à l’écran ?

   Ce qui est compliqué, c’est lorsque l’on filme l’enfant et le chien ensemble. Il faut que l’enfant soit juste et que le chien ait le bon regard. Or il suffit qu’une marmotte passe pour que l’animal se déconcentre ! Quand vous regardez des films avec un enfant et un chien, il est très rare de les voir ensemble à l’écran, si vous observez bien. On joue sur les champs et contre-champs mais on les voit rarement ensemble. Pour moi, c’était très important de les voir ensemble pour exprimer cette amitié. J’ai donc multiplié les prises pour les voir réunis.

 

Quels étaient les moments les plus délicats ? (Il y a par exemple une scène où l’enfant doit effectuer une piqûre au chien…)

   Évidemment, l’enfant n’a pas vraiment piqué le chien. Cela dit, pour cette séquence ils sont tout le temps ensemble. Ça a donc pris beaucoup de temps. Il a fallu attendre que tous les deux se sentent bien, apaisés. Ce sont des séquences que certains réalisateurs détesteraient, moi je les adore. Il faut provoquer naturellement la chose. Une journée entière de travail, une journée et demi même, a été nécessaire rien que pour cette scène qui ne dure que quelques minutes.

 

Quels étaient les écueils à éviter ?

   Je ne voulais pas du faux. C'est-à-dire filmer d’un côté l’enfant sur fond vert, et faire ensuite du montage. Je ne voulais pas construire une amitié superficielle. Je ne voulais pas tricher. Je pense que dans ce film, l’imagination fonctionne à plein devant cette relation entre un petit garçon et un chien sauvage. Si ça marche, c’est grâce à cette part de vérité. Il fallait que ça apparaisse.